Le récit est éprouvé : un genre aux codes et à l’histoire mal connus ou totalement ignorés du grand public (ici le hardcore punk) est rendu d’un coup totalement accessible et fréquentable par un groupe au son 100 % fraîcheur citron et à l’esthétique joyeusement discordante – au premier coup d’œil, Glow on a nettement plus l’air d’un disque de Frank Ocean que d’Agnostic Front. Le public a la sensation grisante de découvrir l’eau chaude. Le groupe voit un boulevard s’ouvrir vers un monde qui lui était jusque-là interdit, celui des couvertures de magazines, des scènes de grands festivals et des chambres d’ados mal dégrossis. Le département marketing du label, lui, voit l’occasion de sortir du placard la grosse artillerie : «un tournant dans le hardcore», «il y aura un avant et un après», «plus rien ne sera jamais pareil», «vinyle marbré bi-colore grenade / pierre de fusil limité à 99 exemplaires». Mais encore faut-il pour tout ça que le matériel soit à la hauteur. Pour un At The Drive-In, passé il y a vingt ans de l’underground à MTV avec un disque qui était à la fois leur plus accessible et leur plus ambitieux, combien de Jawbreaker ou de Girls Against Boys, issus de scènes similaires et crucifiés par un album trop en rupture pour ses fans d’origine et pas suffisamment ouvert pour en séduire de nouveaux ? En toute logique, Turnstile ne sera pas de ceux-là. Après une poignée de disques sympathiques mais inégaux, moyen surtout de promouvoir leurs ahurissantes prestations scéniques, et un premier album en major assez terne (Time & Space en 2018), le groupe de Baltimore a décidé de sauter à pieds joints sur la soupière en débarrassant sa formule, mélange de hardcore gonflé à l’hélium et de rock alternatif 90′s, de ses derniers complexes. Inutile de s’attarder sur les zones d’ombre, Glow on a un tel effet euphorisant qu’une fois le disque lancé elles perdent toute importance. Ces garçons ont beau avoir un look désespérant, à mi-chemin entre slackers de banlieues pavillonnaires et groupe shoegaze de 12e division, enquiller tous les riffs dont Quicksand, Rage Against the Machine et Gorilla Biscuits n’ont jamais voulu et ne rien proposer de foncièrement original (les quelques intrusions électroniques et la présence sur deux titres des vaguelettes r’n’b du britannique Blood Orange ne changent pas vraiment la couleur du cheval), ils font leur gibelotte avec tellement d’énergie, de passion et de naïveté, ont l’air de tellement s’amuser à mélanger Deftones, Tears for Fears, le flamenco, Lifetime, Bad Brains, huit séances de cardio high intensity et INXS (il y’a vraiment tout ça sur Don’t Play, et pas que) qu’on a juste envie d’être heureux avec eux. «Le plus grand groupe du monde, c’était toujours celui que vous écoutiez là, à la minute, celui qui vous faisait sauter sur vos pieds», disait, dans son roman les Coins coupés, Philippe Garnier. Pendant 34 minutes et 57 secondes, durée précise de Glow on, où que vous soyez, Turnstile sera indiscutablement le plus grand groupe du monde.