C’est en 1930 que le poète turc Nâzım Hikmet écrit ces vers que Soufiane Ababri réinterprète pour le titre de sa nouvelle exposition. Condamné à plusieurs reprises en raison de son activisme politique, Hikmet a longtemps vécu emprisonné, connu l’exil et la clandestinité, avant d’être déchu de sa nationalité turque qui ne lui sera rendue que de manière posthume. Dans le poème « Comme Kerem » d’où sont tirées ces quelques phrases, Hikmet transforme un conte traditionnel du 16ème siècle, qui relate un amour interdit, en un appel à l’action révolutionnaire. Ababri reprend ce thème de la portée subversive de la force érotique et rassemble ici différents travaux qui traitent, chacun à leur manière, de déchéance.
Deux dessins allongés sont à l’origine du projet. Réalisés sur des chutes de grands rouleaux de papier qu’Ababri utilise pour ses dessins, ils ont longtemps été laissés de côté par l’artiste à cause de leur format atypique. Dans l’un, un personnage nu est traîné à terre comme s’il subissait une punition physique, à moins qu’il n’essaie de retenir un homme qui ne veut pas de lui. Dans l’autre, un homme vraisemblablement resté trop longtemps au soleil s’affaisse à table, saoul. Ces scènes d’humiliation et de déboire présentent des sujets déchus, qui rappellent non seulement le support sur lequel ils prennent forme – à savoir des résidus de papier – mais aussi leur statut marginalisé. Partant de ce constat, Ababri entreprend une épistémologie de la chute.