Raphaëlle Peria

Si j’étais un arbre, je serais toi

On l’exige parfois des enfants, lorsque la tentation est trop forte

d’entrer en contact avec ce qu’ils désirent : toucher avec les yeux.

Cette injonction, qui réprime le besoin d’éprouver la sensation

tactile d’une matière, est peut-être à l’origine du processus créatif

de Raphaëlle Peria : et si l’on pouvait procurer la sensation de

« toucher avec les yeux » ? Les mots ont ce pouvoir évocateur

lorsqu’ils sont poétiques, comme les vers de Guillevic qui inspirent

souvent l’artiste. Mais il s’agit ici de faire parler les images. De

leur attribuer cette qualité d’être une représentation autant qu’un

objet que le regard peut observer en se remplissant d’une sensation

haptique.

Dans la nature, au milieu du monde végétal, nous caressons,

humons, écoutons en même temps que notre vision appréhende

formes et couleurs : le sentiment d’une totalité nous est offerte.

Comment restituer cette expérience ? Entrer dans l’image est une

utopie, alors pourquoi l’image ne quitterait-elle pas sa surface pour

venir à nous ? Voici venir l’univers en relief de Raphaëlle Peria : de

méticuleuses et répétitives interventions dans la strate des papiers

et des pigments opèrent comme le vent qui se lève pour transformer

la planéité de l’image en une délicate écorce.

Certes, il nous faudra seulement « toucher avec les yeux », tant les

épreuves augmentées de Raphaëlle Peria font de leur fragilité

l’allégorie d’une nature aujourd’hui tourmentée. Mais cette

épaisseur optique est une recomposition du monde tout entier. Il ne

s’agit plus de contempler la nature vue à travers le regard de l’autre,

mais d’accéder à l’être des arbres et des plantes. Pour l’artiste, l’arbre

est un sujet, et non un objet, il peut s’exprimer au travers de ses gestes

qui sont la métaphore du bruissement de ses frondaisons, comme du

sourd courant de sa sève. L’arbre, si nous étions lui, nous offrirait

peut-être alors une « prière de toucher ».

Michel Poivert