Une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère.

Simone de Beauvoir

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..."Mathilde n’avait pas ce qu’il est convenu d’appeler des bonnes copines, à qui il est d’usage, le soir après le travail, à l’anglo-saxonne, de raconter son intimité en buvant des verres de vin blanc, jusqu’à l’ivresse et donc aux confidences inavouables. Elle n’était sur aucun réseau social. Elle ne disait, en société, durant les dîners, pratiquement rien, et elle s’en moquait complètement, dans les dîners, de ne presque rien dire, et de l’impression de froideur ou de suffisance – ou plus souvent d’insuffisance – qu’elle pouvait provoquer. L’opinion des autres à son égard l’indifférait, elle n’avait pas besoin d’amour et de marques d’affection (en dehors de l’amour que lui apportait Nicolas, ses enfants, et les rares amis qu’elle avait), elle supportait d’être détestée et combattue, méprisée, sous-estimée, elle s’en foutait. Elle ne recherchait jamais ni l’estime ni l’approbation d’autrui, sauf peut-être dans l’exercice de son métier, mais même devant ses clients elle conservait cette contenance avaricieuse et granitique qui lui était coutumière, qui conférait à sa parole concise ce surplomb d’oracle qu’ils étaient venus chercher chez elle,  dûment facturé. Elle disait toujours ce qu’elle avait à dire de désagréable et de la façon la plus simple et directe, sans frémir ni flancher. Personne ne lui faisait  peur. Elle ne retenait jamais ses coups, quand il fallait frapper. On ne pouvait pas l’intimider. Ses phrases, lorsqu’elle s’emportait, pulvérisaient l’adversaire (ce qui à la maison annulait le principe même de querelle conjugale, et de récrimination enfantine), son regard droit et acéré était alors plus redoutable encore que les traits qu’il accompagnait. Elle ne s’abaissait jamais à quémander, à envier, à jalouser, à soupçonner. Elle n’était jamais mesquine. Nicolas ne l’avait jamais entendue répercuter des ragots ou spéculer avec délices sur des rumeurs déplaisantes, pour le seul plaisir de dénigrer, ou bien alors elle condamnait sans appel et effaçait de son esprit les gens qu’elle n’aimait pas, ou n’aimait plus, et Dieu sait qu’ils étaient nombreux les gens qu’elle n’aimait pas, ou dont elle se lassait, ou qui la décevaient. Elle était toujours de la plus grande exactitude, elle s’exprimait par épitaphes, laconiquement, sans développer ses pensées, et Nicolas semblait souvent le seul à la comprendre. Les amis authentiques qu’elle avait, peu nombreux il est vrai, et qu’elle adorait, lui témoignaient une immense affection, elle les émouvait autant qu’elle les impressionnait, par cette épineuse originalité…. ». Extrait de la Chambre des Epoux – Eric Reinhardt