Plongée dans l’intime d’un chef
Nous sommes donc dans la chambre de l’empereur déchu, à Fontainebleau, alors que ce dernier tente de mettre fin à ses jours au terme d’un immense désespoir. A ses côtés, le Général Caulaincourt et son médecin personnel, le Docteur Yvan, qui découvrent tous deux un homme souffrant, perclus de maux de ventre, évoquant, entre tressaillements et délires, hoquets et nausées, sa vie, ses exploits, les épisodes de l’empire, les trahisons vécues à travers une paranoïa croissante. En réalité, Napoléon vient d’avaler le poison que son médecin personnel lui avait fourni en cas de défaite, ce que ni Caulaincourt ni Yvan ne savent encore. Pour l’heure, sur son lit royal aux tentures de velours vert, bordé d’or, l’homme le plus célèbre d’Europe nous embarque, entre folie et discours rationnel, dans une véritable tranche d’histoire militaire et sociale, qui fera l’objet des mémoires qu’il écrira plus tard.
Trio d’acteurs épatants
Très historique, très documentée, la pièce de Philippe Bulinge s’amuse à rendre vivants ces personnages avec une verve et un dynamisme savoureux, tricotant avec ironie des dialogues piquants et terribles. Damien Gouy est un empereur débordant d’orgueil blessé, obsédé par son image, dialoguant sérieusement avec lui-même par un effet de miroir totalement schizophrénique mais touchant. Il est fiévreux et lucide à la fois, souffrant à la manière des stoïques romains, ne regrettant rien, se prenant pour Dieu en personne. Au contraire, droit comme un « I » et corseté dans son uniforme amidonné, Loïc Risser-Caulaincourt le veille avec la distance des militaires qui ne se départissent jamais du respect qu’ils doivent à leurs supérieurs, mais qui n’en pensent pas moins. Vincent Arnaud, le Docteur Yvan, oppose à ces deux monstres, l’un bouillant, l’autre glacé, son effroi de scientifique totalement dépassé par la situation. Fébrile et effaré, c’est lui qui va sauver finalement son patient par un subterfuge avéré. Un texte puissant, bien écrit, incarné par un beau trio d’acteurs qui nous révèlent, derrière le faste, la face cachée d’un mythe.
Hélène Kuttner