Film légendaire, pierre de touche du cinéma expressionniste et de l’imaginaire dystopique, Metropolis est l’un des chefs-d’œuvre de Fritz Lang – poème visuel qui trouve son pendant musical dans la partition de Martin Matalon, dirigée par Kazushi Ōno.
Pour la version restaurée du film Metropolis, le compositeur argentin Martin Matalon a composé en 1995 une partition originale, initialement destinée à seize instrumentistes et dispositif électronique, dont ce ciné-concert exceptionnel inaugure la version orchestrale.
Calquée sur le rythme de la narration filmique, l’œuvre de Matalon devient, grâce aux effets de spatialisation permis par l’électronique, un véritable double musical du poème visuel de Fritz Lang. Échos de jazz et de musiques extra-européennes, sons acoustiques et réfractés fusionnent pour renouveler en profondeur la caractérisation des situations et des personnages, engendrant des hypothèses inédites et contribuant ainsi à la riche histoire de l’interprétation de Metropolis.
Ciné concert en deux parties : 1ère partie : 1h05 – entracte de 20mn – 2ème partie : 1h23
Aujourd’hui, Metropolis fait partie des films les plus commentés de l’Histoire ; des thèses, des documentaires, des livres, des colloques lui sont consacrés, des groupes de rock ont repris son nom, des générations de cinéastes s’y sont référées. Une musique moins figurative est-elle devenue possible ? Martin Matalon répond par l’affirmative, soulignant l’audace et la modernité de la forme par-delà le message humaniste attendu : « Luis Buñuel a écrit qu’il y a deux films dans Metropolis. Un fondé sur un scénario plutôt conventionnel et manichéen. Mais aussi un poème total, inventif et novateur, qui doit tout à l’esthétique du cinéaste. » C’est en hommage à ce Fritz Lang avant-gardiste que Martin Matalon a d’abord composé pour 16 instrumentistes, suite à une commande de l’IRCAM en 1993. « À cette époque, les pièces les plus longues que j’avais écrites ne dépassaient pas 20 minutes. La durée a donc été très vite une obsession pour moi. J’ai découpé les 2h30 du film en une trentaine de scènes. Cela m’a permis de travailler la petite forme et de rechercher, dans chacune, ce qui déclenche la musique, selon que le film suggère une vivacité rythmique, des timbres particuliers, qu’on se trouve dans les catacombes ou les jardins suspendus. J’ai passé environ une année à réaliser des esquisses musicales pour chaque scène, une autre à équilibrer le tout, faire le lien entre ces cellules. »
Plutôt que de commenter les images, Martin Matalon a donc voulu faire écho à l’épure des décors, la modernité des plans, la force des protagonistes, aidé en cela par le réalisateur : « Lang est très architectural, son sens de la narration m’a aidé. J’avais fait des musiques sur des films de Buñuel, pour lesquels il fallait tout structurer. A contrario, cette narration, déjà très construite, offre beaucoup de liberté. » Une liberté qui s’exprime dans les références au jazz, l’utilisation de la guitare électrique et de la basse ainsi que le recours à l’amplification. En 2011, la découverte de 25 minutes d’images inédites déclenche un remaniement profond de la partition, et sa réécriture pour orchestre symphonique. « J’avais ce projet depuis plusieurs années et j’en ai parlé à Laurent Bayle qui a tout de suite été intéressé, se souvient Martin Matalon. La création prévue à la Philharmonie de Paris a été annulée du fait de la pandémie, et a eu lieu à Cologne. Pour moi, il s’agit d’autre chose que d’une simple orchestration. Pour cette masse d’environ cinquante musiciens supplémentaires, il a fallu créer de nouveaux plans sonores tout en laissant la place à de nombreux soli et à l’électronique. La variété des couleurs orchestrales m’a incité à développer des timbres spécifiques pour certains personnages, à effectuer quelques changements, comme dans la scène de la révolution : silencieuse dans la version pour 16 instrumentistes, elle fait ici l’objet d’un thème aux cordes. »
S’il y a deux films dans Metropolis, il y a aussi deux Metropolis selon Martin Matalon, destinés à coexister : « La version d’orchestre ne remplace pas la version d’ensemble, jouée un peu partout dans le monde depuis trente ans, et qui continue à être programmée. » Deux œuvres indépendantes, d’autres créations à venir, comme cette musique pour City Lights (Les Lumières de la ville) attendue en 2024. On ne résiste pas à l’envie de soumettre la définition de Cosma à Martin Matalon, qui conclut : « Bien sûr qu’une bonne musique de film doit pouvoir s’écouter sans les images ! Mais quand il s’agit de cinéma muet, je parle de ciné-concert plutôt que de musique de film, car alors, la musique est un protagoniste majeur. »