Hommes sans femmes.
Parsifal –
Collection particulière
Entre 1993 et 1997, Markus Lüpertz a réalisé, sur le même motif, un ensemble d’œuvres, plusieurs centaines, dont le titre générique Männer ohne Frauen (Hommes sans femmes) lui aurait laissé toute latitude si le nom de Parsifal qui lui est associé n’était venu suggérer un sens apparemment plus précis, inséparable de l’opéra de Richard Wagner créé à Bayreuth en 1882 d’après Wolfram von Eschenbach et d’un mythe dont l’histoire moderne et sa capacité d’interprétation n’ont pas épuisé les ressources, pas plus d’ailleurs que celles d’Orphée, Ulysse, Jason et autres. Comme cette série est l’exemple même d’une variation sans fin qui, à certains égards, fait penser autant à Glenn Gould qu’à l’auteur de Tristan et Yseult, on peut se demander si le seul nom du personnage n’est pas là pour donner une valeur à la fois contraignante et insaisissable à une expression pour le moins triviale, reprise d’un recueil de nouvelles d’Ernest Hemingway paru en 1927, Men without Women. Un film de John Ford en 1930 utilise le même titre pour une histoire de sous-marin. L’artiste l’utilise pour sa part librement en référence aux immigrés, aux mercenaires, aux victimes de l’émancipation avec lesquels, en tant qu’artiste et bohème, il se sent partie liée, autant sans doute par la puissance occulte d’un mythe que pour des raisons relevant de sa biographie. Le disparate des quatorze nouvelles d’Hemingway correspond assez bien en lui au besoin de rendre évasif et volatil un élément par ailleurs terriblement prosaïque et banal, la nue réalité qui toujours menace l’art de sa vérité. Sans avoir à le justifier par autre chose que des images, on est renvoyé à une longue histoire de la culture dont Perceval le Gallois représente dans le roman de Chrétien de Troyes (vers 1180) une des figures majeures. Lüpertz en admire la pérennité (et le mystère), ce qui fait de lui un interprète plus ou moins déclaré de la légende arthurienne dans une fin de siècle que le recteur de l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf qu’il est devenu en 1988 juge enlisée dans un avant-gardisme de façade, le divertissement, la pédagogie, le kitsch et le mépris. Le « soldat de l’art » qui fut aussi un déserteur est avant tout un peintre et un poète contemporain qui ressent le besoin d’une histoire millénaire que seul l’art est en mesure de rendre intelligible. Il entend en donner à voir la dissonance et la grandeur.
Eric Darragon