SOUS LA RÉGULATION DU CŒUR
« Ruminer, digérer, avaler, gober : tous ces mots désignent aussi bien des opérations de l’esprit que celles du corps. Longtemps, les entrailles ont été reléguées, considérées comme scabreuses, indignes d’une considération artistique. Margaux Meyer les ausculte à sa manière, elle troque le bâton de l’haruspice pour ses pinceaux et cotons, et propose une peinture à l’estomac, car les guts ne trompent pas.
D’un côté, quelque chose enfle, ventre-boule de cristal et doigts protecteurs sur T-shirt tiré ; de l’autre, des viscères rappellent que les mages antiques y lisaient les oracles des dieux – pour quels présages ici ? Dans ce jeu de contrastes entre le caché et le couvert, le noir et le blanc, les profondeurs et la surface, Margaux Meyer nous exhibe une leçon d’anatomie poétique. Un aigle, saisi dans son envol, domine ces bellies, et l’on songe à une nouvelle Annonciation dans son sillage tandis qu’il bat la mesure.
On regarde alors de nouveau ces ventres, envers et endroit l’un de l’autre : peut-être que le cœur se situerait plutôt là, et c’est pour cela que « we should say ily like farts », comme le suggère l’artiste ? On sait désormais que notre ventre parle et que notre cerveau exécute, inversant la hiérarchie du haut et du bas qui régissait auparavant notre conception des organes. C’est là que réside notre audace (« en avoir dans le ventre »), c’est là que les émotions se nouent, que notre corps s’exprime jusqu’à la contraction. À la sérénité qui nimbe belly répond la crispation des mains, la torsion du tissu de cramps – le mot douceur n’est-il pas proche, si proche du mot douleur ? La palette nacrée et la suavité du trait s’assemblent pour mieux capturer le spasme : il faut paradoxalement beaucoup délier pour saisir.
Chez la peintre, le travail sur la transparence est plus au service d’une énigme que de la clarté, et un mystère plane. Il n’y a plus de fond comme faire-valoir qui distinguerait nettement une figure, aucun air pour laisser respirer une silhouette. Au contraire, sa peinture s’épanouit dans l’évanouissement, les choses s’y affirment au moment de leur disparition, dans une tension féconde pour le regard entre abstraction et figuration. Ses toiles s’offrent pour certaines comme des blocs de sensation, et selon la focale on y décèlera une forme, guidé·e ou non par le titre choisi avec laquelle l’œuvre dialogue ; ou bien on se laissera hypnotiser par le magma de la matière.
Ses choix de cadrage – au cinéma, on parlerait de gros plans – participent à cette déréalisation, elle met de côté toute frontalité classique pour angler notre attention sur des éléments du corps humains, à rebours de toute convention : le blanc du ventre prend presque tout l’espace, de même que les entrejambes, où le vaporeux du trait rencontre le brut du jean. On ne saura jamais à qui ils appartiennent, membres fractionnés de personnes fantômes.
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