Les suppliques désignent les centaines de lettres envoyées par des familles juives aux autorités de Vichy, le maréchal Pétain en tête, entre 1941 et 1944, pour échapper aux persécutions ou obtenir des informations sur des proches disparus. Certains prennent la plume pour éviter telle ou telle interdiction. D’autres espèrent que leur proche arrêté ou déporté pourra échapper à un sort qu’ils ne connaissent pas précisément mais qu’ils rattachent à un péril extrêmement angoissant. Ce faisant, beaucoup signent leur arrêt de mort en livrant leur identité et leur adresse.

C’est tout l’imaginaire des victimes qui se fait jour à travers ces lettres. Ainsi que le sentiment d’injustice de leurs auteurs. Injustice qu’ils espèrent voir réparée, eux qui continuent d’avoir foi en l’État français. Mais les réponses de l’administration sont systématiquement laconiques et sans appel : le Commissariat général aux questions juives dit devoir s’en remettre aux forces occupantes. Ces suppliques constituent un matériau exceptionnel sur les drames de la Shoah en France et la logique, hypocrite et délétère, du gouvernement de Vichy. Créatrices d’un théâtre documenté qui mêle les récits politiques, historiques et intimes, Julie Bertin et Jade Herbulot transposent sur scène six de ces lettres. Elles tissent archives et fiction, dialogues et geste dansé, pour recréer le paysage historique de ces instantanés de vie, et rendre corps et voix à tous ces disparus. Dans un dispositif scénographique qui traduit l’enfermement des familles, observées et scrutées de toute part, quatre interprètes d’âges différents redonnent ainsi vie et dignité à six destins brisés. Ce témoignage passionnant et bouleversant sur un certain héritage français est aussi un antidote à tous les discours de haine d’aujourd’hui

« J’ai 20 ans et je veux vivre. »
Extrait de la lettre de Léon Kacenelenbogen
écrite au maréchal Pétain le 27 août 1942,
depuis le camp de Douadic.