Les gens sont bien là où ils sont

Du 3 au 8 septembre 2024, la Galerie du Génie de la Bastille accueille l’exposition « Les gens sont bien là où ils sont ». 

Les regards m’intimident, ils ne sont pas stables. Au creux de l’orbite, se jouent des guerres et des cérémonies, des nuits saintes et des jours sombres, des épiphanies bruyantes, et des manifestations violentes. J’ai beaucoup essayé d’utiliser mon appareil comme un médiateur entre les autres et moi, pour atténuer la force d’un regard, mais rien ne nous en immunise vraiment.

Alors je les ai fuis, les regards ; j’ai cherché les gens ailleurs, dans l’étrange mais puissant mutisme d’un dos, dans l’éloquence d’une silhouette à contrejour, dans l’inconfortable posture d’une main qui dépasse. Et progressivement, on réalise qu’un corps parle autant que ses yeux. Peut-être même qu’il est plus expressif.

Parce qu’à l’instant où un regard croise la caméra, le lien tacite entre l’image et la Vérité qu’elle cherche est temporairement rompu. Le naturel ne peut plus être – dévoyé par l’artificialité que force la conscience d’être observé. On ne peut plus, ou difficilement, faire confiance à l’évènement disponible.

Alors les gens sont bien là où ils sont. Ni trop près, ni trop loin. Ils sont bien là où le décor les enveloppe et donne écho à leur présence. Ils sont bien dans leur ordre naturel, sans être altérés par la force d’un œil pressant qui se pose sur eux. Ils sont bien quand la caméra n’existe pas dans leur esprit, et qu’il lui est permis d’enregistrer la fragile mais précieuse immédiateté du moment.

Cette exposition se concentre sur la manière dont les corps fusionnent avec leur environnement. Les photos laissent ainsi respirer le récit du petit cousin, de l’amie d’enfance ou d’un parfait inconnu sur le clapotis de l’eau ou les lattes du parquet grinçant. Elles ne cherchent pas à exalter le moment, au contraire, elles le regardent dans son antichambre avec des angles joueurs et un sourire malicieux.