L’émotion, avec ses « réactions souvent intenses », est systématiquement présente dans les arts visuels, travaillée, traquée, déclinée. Elle incarne même la plus grande partie de leur sens, suggérant la chair, stimulant la curiosité. Toutes les expressions y sont illustrées : de la souffrance à la joie, de l’enthousiasme à la terreur, du plaisir à la douleur dont Louis-Léopold Boilly sut faire la recension dans ses Trente-cinq têtes d’expression (vers 1825, Tourcoing, Musée Eugène Leroy), répertoire d’un théâtre où la sensibilité humaine s’expose et se diversifie.
Du Moyen Âge à l’époque moderne, la Mélancolie de Dürer (1514, Paris, École nationale supérieur des beaux-arts), les émois des jeunes cœurs (Jeanne-Élisabeth Chaudet, Jeune Fille pleurant sa colombe morte, 1805, Arras, musée des beaux-arts), les Têtes d’expression de l’École parisienne des Beaux-Arts ou la terreur conférant à la folie comme la peint Charles Louis Müller (Rachel dans Lady Macbeth, Paris, musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme) sont autant de manifestations des sentiments, saisis par tous, instantanément décryptés, éloquents dans leurs traits, leurs clichés. Enfin, l’intérêt, brusquement accru aujourd’hui, pour les thèmes psychologiques, traumas ou affects, ne peut que renforcer la légitimité d’une exposition sur l’émotion dans les arts visuels, ses formes, ses degrés. L’exposition suggère l’interminable répertoire des résonances affectives de notre monde intérieur, leur présence ou leur absence depuis les ivoires médiévaux, muets, jusqu’à leur sublimation hurlante dans les Têtes d’otages (1945, Paris, Musée national d’Art moderne, Centre Georges Pompidou) de Jean Fautrier.
Ces nuances ont pourtant un intérêt plus précis, plus précieux. Elles révèlent aussi comment ces mêmes émotions ont pu varier avec le temps, comment leurs manifestations se déplacent, comment changent l’attention qui leur est portée, ou même quelquefois le sens qui leur est donné. Les objets « émotifs » s’enrichissent, les regards se renouvellent, les intensités se différencient, les interprétations aussi. La vieille mélancolie devient neurasthénie (Émile Signol, La Folie de la fiancée de Lammermoor, 1850, Tours, Musée des Beaux-Arts), la vieille violence devient exécration (Pablo Picasso, La Suppliante, 1937, Paris, musée Picasso), les physionomies se différencient et s’émiettent comme jamais avec le trait de Boilly ou de Daumier. L’émotion offre alors d’interminables nuances, que l’histoire ne fait qu’enrichir et singulariser. L’exposition restitue la manière dont s’est lentement constitué le psychisme occidental, l’insensible déroulement de sa mise en scène avec le temps, ses faces cachées, ses particularités toujours plus différenciées.
Les 8 sections du parcours de l’exposition illustrent la lente transcription des émotions par les artistes, puis son évolution au fil du temps, à l’aune des réflexions esthétiques, scientifiques ou des événements qui se sont succédés.
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