Beaucoup ont les yeux clos, la face plongée dans l’ombre ou nous tournent totalement le dos offrant, sans la moindre retenue, le reste de leur corps à nos regards. Dans le triptyque intitulé The Nature Poem (2025), tous les personnages présents nous ignorent : points de vue sur le haut des crânes, le dessous des mentons, les plantes de pieds, l’arrière des épaules, géométrie des membres entrecroisés qui reposent. Comme délivrés du souci de paraître, leur tête est ailleurs. Plus loin, sur d’autres toiles, elles seront même séparées du reste du corps. Les occasions d’envisager, au sens premier du terme, les figures de Laurent Proux sont rares. Dans un groupe architecturé par trois corps monumentaux (Duel, 2025), variation libre sur le thème des âges de la vie, deux debout et un au sol, un personnage prend appui avec la paume de sa main sur les yeux de celui qui est à terre. Le geste ne semble pas brutal ; les bras de la figure aveuglée s’émancipent de leurs limites ordinaires, ils s’allongent, s’assouplissent et se métamorphosent en un organe reptilien ou affecté d’une étrange difformité. Rien de menaçant à première vue. Souvent, on ne sait plus trop avec les corps peints par Laurent Proux à qui appartient tel ou tel membre ; une réjouissante confusion règne, voire une sorte de mise en commun organique. Les corps devenus disponibles s’agglomèrent, s’hybrident. Se branchant les uns aux autres, joignant leurs émotions par une caresse, une étreinte, ils échappent aux projections désirantes conventionnelles. Quelque chose du legs maniériste circule dans ces tableaux, notamment dans ces mêlées de corps particulièrement extravagantes rappelant, par exemple, celles de Bronzino dans son Allégorie avec Vénus et Cupidon (ca. 1545, National Gallery, Londres).
Ce sont moins en mêlées qu’en couple que les têtes s’unissent les unes avec les autres. Rien ne sert de tenter de les individualiser. Elles font corps. Jetées là sous nos yeux, mais pas à la manière violente des têtes décapitées représentées par Géricault. Plutôt qu’au tragique, n’est-pas à une sensualité d’un autre ordre qu’on a affaire ? Elles s’interpénètrent, fusionnent l’une dans l’autre et les bras, les mains, les doigts participent éventuellement à cette union. Un peu gêné par cette effusion énigmatique, on hésite d’abord à les regarder en détail. Notre tête voyeuse de spectateur semble de trop. L’effet de gros plan restreint le champ de vision sur ces sièges de la pensée concentrée, sans possibilité ou presque d’échappée vers le ciel, à l’arrière-plan. Prendre un peu de recul pour les voir semble nécessaire, comme s’il s’agissait d’un paysage fabriqué à partir de fragments organiques. Le tableau Summer Afternoon (2025) cadrant les deux têtes d’un couple enlacé sur le ventre les saisit alors qu’ils regardent en direction du soleil lequel, comme on sait, ne peut se regarder en face. Mais l’un des deux personnages a placé sa main, les doigts écartés, en guise d’écran dérisoire. La main du peintre peut-être ? On ne voit pas sa vision, mais son ombre, comme celle qui se projette sur le visage de celle (ou de celui, on ne saurait tout à fait décider) qui regarde vers ce qui l’aveugle.
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