Critique : Sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, La prisonnière de Bordeaux marque les retrouvailles de la réalisatrice Patricia Mazuy avec Isabelle Huppert, vingt-quatre ans après Saint-Cyr, passionnant film historique sur Madame Maintenon et réflexion subtile sur la pédagogie, féministe dans le meilleur sens du terme, et à contre-courant du cinéma français du début des années 2000. D’autres points communs sont le thème des relations amicales entre femmes (ici une bourgeoise et une ouvrière), et celui des affres de la vie conjugale, déjà traité en filigrane dans Peaux de vaches. Quant à la trame policière (le MacGuffin d’un tableau volé, en fin de récit), elle prolonge l’ambiance de polar inhérente à Bowling Saturne, sans la noirceur de ce dernier. Car La prisonnière de Bordeaux adopte une posture plus légère, n’hésitant pas à jouer la carte de l’humour et de la comédie policière, ce qui ne l’empêche pas de traiter le sujet grave du désarroi des épouses de détenus. Coécrit avec François Bégaudeau, Pierre Courrège et Émilie Deleuze, le scénario part d’une situation a priori improbable : l’amitié entre deux visiteuses d’époux emprisonnés, différentes par leur situation sociale.
- © 2024 Rectangle Productions Piceyes / Les Films du Losange. Tous droits réservés.
Alma (Isabelle Huppert) est mariée à un chirurgien incarcéré pour délinquance routière, quand Mina (Hafsia Herzi) est blanchisseuse dans un pressing, en manque de son mari condamné pour braquage d’une bijouterie. La fantaisie de la première compense le sérieux de son statut social, quand l’intelligence et le sens des réalités de la seconde transcendent le poids de son origine défavorisée. En outre, comme la solidarité féminine dépasse ici les frontières de classe, l’invraisemblable nous paraît vraisemblable, ce qui est la marque des grands films se fichant du réalisme. De toute façon, comme l’ont précisé Patricia Mazuy et Isabelle Huppert lors de la présentation du film à Cannes, les personnages sont suffisamment nuancés pour échapper aux clichés. C’est ainsi que les figures masculines ne sont pas sacrifiées : le mari hautain d’Alma et le combinard époux de Mina sont caractérisés avec leurs failles mais aussi leur sincérité, quand le premier refuse un contact physique au parloir, ou lorsque le second plaide coupable d’emblée, et se révèle un père aimant. Les auteurs ne les placent pas hors champ, tout en n’hésitant pas à cerner les ambiguïtés des deux protagonistes, Alma trompant son ennui avec une codétenue qu’elle héberge et utilise comme dame de compagnie, la seconde n’hésitant pas à trahir sa bienfaitrice pour régler une dette, et ce même si le lien affectif est réel entre les deux femmes.
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On est donc plus proche de l’esprit de Ouistreham d’Emmanuel Carrère que de la roublardise de La petite de Guillaume Nicloux, dans la peinture des rapports des classe. Même si la narration s’enlise un peu dans sa dernière partie, on reste sous le charme de ce long métrage qui brille aussi par ses dialogues bien ciselés (mais sans tendance aux mots d’auteur). On citera la scène où Mina, qui découvre par surprise les amis cuistres d’Alma, déclare à propos du verre qu’on lui fait goûter : « C’est un bon vin, bon et cher, comme les bons avocats. » En osmose total avec le dispositif, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi sont impeccables comme à leur habitude, et leur duo fonctionne à merveille. Après Sidonie au Japon pour la première, Le ravissement et Borgo pour la seconde, elles confirment (si besoin était) l’étendue de leur registre.