Au départ c’était déjà la coupure, le haut du visage barré par le cadre, pas d’air, pas d’espace au-dessus des têtes, et puis très vite plus de tête non plus — je ne parle jamais de visage, je disais sur le divan, je pense Victoire de Samothrace. Donc plus de tête pour des corps glorieux coupés au niveau du cou ; des corps qui auraient la tête ailleurs ? peut-être, mais je ne veux pas y penser. Peut-être parce que je n’aurais pas su qu’en faire, qu’il aurait fallu leur trouver une expression, jouée certainement, et ça je ne pouvais pas. La neutralité bien évidemment, l’ennui tellement photogénique, ou ces portraits de face que je ne pouvais plus supporter.
Je me rappelais Duane Michals, j’avais noté : « Je ne photographie que ce que je connais, ma vie. Je ne prétends pas connaître les Noirs et ce qu’ils ressentent, ni l’ennui des familles de banlieue, ni les travestis. Et je n’accorde aucun crédit aux photos qui les montrent regardant fixement l’objectif. » Le mieux c’était de leur couper la tête, et de continuer, les bras, les jambes, à force je finirais bien par voir ce qu’il reste. J’ai vu : les murs, les fleurs, l’image, la photographie, ma joie. Couper pour voir, comme sur le divan et que derrière soi on entend : « On va s’arrêter là pour aujourd’hui. »
Encore Duane Michals et j’arrête : « Tra-la-la, je ne connais peut-être pas grand-chose à la photographie, mais je sais ce que j’aime. »
Laurent Goumarre