LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE
Réalisé par Thierry KLIFA - France 2025 2h03mn - avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs, Raphaël Personnaz, André Marcon, Mathieu Demy... Scénario de Cédric Anger, Jacques Fieschi et Thierry Klifa.
Même si le film entend prendre de la distance, « s’inspirer librement de… », personne n’est dupe. Isabelle Huppert, Marianne Farrère dans le film, n’est autre que la richissime Liliane Bettencourt. Laurent Lafitte, campant ici le photographe Pierre-Alain Fantin, ne peut être que François-Marie Banier, accusé naguère d’abus de faiblesse sur la première. Marina Foïs, renommée Frédérique dans la fiction, incarne formidablement Françoise Bettencourt Meyers, la fille blessée, félonne, l’accusatrice par qui le scandale arrive. Et Raphaël Personnaz campe un majordome inoubliable, ambigu, inquiétant, qui a quelque chose de Dirk Bogarde dans The Servant de Losey, mi-serviteur stylé, mi-voyou – personnage en apparence secondaire qui tient un rôle clé dans toute l’affaire.
Qu’on se le dise tout de suite, il n’y a rien ici de bien nouveau à apprendre sur « l’affaire B. » dont, matraquage médiatique oblige, on connait peu ou prou les grandes lignes : attaqué par Françoise Bettencourt-Meyers pour avoir soutiré des sommes vertigineuses à sa mère Liliane Bettencourt (héritière et première actionnaire d’une marque de cosmétique bien connue), François-Marie Banier a été condamné en 2016 pour abus de faiblesse à une peine de prison avec sursis et à une amende salée. Le réalisateur ne cherche pas à tout prix à calquer sa fiction sur le réel – ni à donner, au-delà de quelques pistes, un point de vue définitif sur l’affaire. Il s’intéresse davantage à la matière romanesque qui émane d’une telle tragédie familiale chez les nantis (euphémisme). « J’ai eu très vite envie de lire, d’enquêter, de chercher à comprendre ce qui se jouait à un niveau à la fois intime et universel derrière ce qui intéressait les médias. J’ai découvert une matière complexe, profondément humaine. Une histoire de famille avec ses secrets, son passé enfoui, et un contexte historique trop peu exploré en France : celui de ces grandes familles industrielles dont une partie du pouvoir s’est aussi construite sur des zones d’ombre, la collaboration notamment. » Une histoire minée par des questions financières mais aussi, surtout, comme dans la plupart des familles, des questions d’amour (et de désamour), de reconnaissance, de prépondérance et de jalousie. Et, au centre de gravité, la femme alors « la plus riche du monde ».
Madame a du pouvoir, de l’influence et sait en user. Madame n’a besoin de personne pour mener sa barque et sa fortune et méprise vaguement la cour servile qui l’entoure, mari et descendante inclus. L’irruption dans sa vie de Pierre-Alain, photographe du tout-Paris, écrivain mondain, dandy arriviste, hâbleur, vibrionnant, vulgaire, outrancier, la sort au soir de sa vie de sa léthargie bourgeoise. Madame fait fi de la réaction outrée de son entourage : elle rit, elle sort, son mal de dos s’est même envolé ! Elle (re)prend tout simplement goût à la vie. Pierre-Alain a besoin d’argent pour monter son expo ? Marianne sort son chéquier. Pierre-Alain veut agrandir son atelier ? Un chèque. Pierre-Alain suggère de refaire son intérieur ? Un chèque… Madame donne tellement d’argent à droite et à gauche (enfin, surtout à droite), pour des œuvres, des artistes, des candidats à diverses élections… Elle n’est pas à un ou deux millions près et un Pierre-Alain vaut bien un directeur de campagne de Sarkozy. Jusqu’au jour où Frédérique, sa fille jusque-là effacée, ne supporte plus de rester spectatrice silencieuse des frasques de cet « ami » exubérant qui lui a volé sa place auprès de sa mère et qui dilapide son héritage. Et trouve un allié de l’ombre en la personne du fidèle et taiseux majordome de la maison. L’amitié étonnante et détonante entre la vieille milliardaire et le photographe devient le champ de bataille d’une guerre intestine d’une rare violence – mais souvent aussi d’une grande drôlerie – qui n’épargne personne.