Ce fut l’une des deux grosses surprises de la dernière Semaine de la critique cannoise, "Kika", première fiction d’Alexe Poukine, réalisatrice des documentaires "Sans Frapper" et "Sauve qui peut" est l’une des œuvres les plus poignantes de cette année cinéma. Film dont l’action se situe à Bruxelles et dont le titre n’est autre que le nom de son héroïne, est un poignant portrait de femme, qui suite à un drame personnel, se retrouve contrainte de trouver des ressources financières par des moyens inattendus. Une jeune femme incapable de faire réellement son deuil ou d’externaliser la moindre douleur, car à la fois en état de choc et devant subvenir aux besoins d’elle-même et de sa fille.

Pour mieux nous attacher à ce personnage, Alexe Poukine délivre un début magnifique, sous forme d’une rencontre évidente, à la fois virevoltant et solaire, d’où émane la joie d’un amour naissant, et où est utilisé presque à contre-emploi le tube de Jean Jacques Goldman « Pas toi », qui aura pourtant une belle résonance avec la suite du métrage. Une fois le drame survenu, le film se fera plus sombre et reposera entièrement sur les épaules de son actrice principale, formidable et bouleversante Manon Clavel ("La vérité", "Le Répondeur"), incarnant une Kika dont le caractère attentionné et la douceur viennent en permanence se heurter aux pratiques qu’elle découvre dans le milieu BDSM dans lequel elle plonge progressivement.

Par le biais de son personnage, positionné finalement aux côtés d’un spectateur lui aussi en permanence désarçonné, Alexe Poukine s’est appliquée à décrire ici un milieu, souvent caricaturé, avec une douceur distanciée et une réelle humanité, créant un humour décalé lié à la méconnaissance des pratiques, et respectant la dissociation naturelle entre fantasmes et personnalité des « clients ». Face à celle qui est presque de tous les plans, elle a aussi disposé des seconds rôles attachants, qu’il s’agisse de Makita Samba ("Les Olympiades" et bientôt dans "Furcy, né libre") en amant délicat, d’Anaël Snoek ("Les Garçons Sauvages", "Arthur Rambo") en dominatrice, ou de celle qui incarne la vieille dame sur le point d’être saisie, une voyante étonnante. En permanence sur le fil du rasoir, "Kika" rappelle, grâce à quelques scènes clés et à son interprète principale, qu’une douleur non exprimée empêche souvent d’avancer. Un drame intimiste formidablement humain, qui vous prend forcément aux tripes et a de fortes chances de vous arracher quelques larmes.