«Il y a des hôtels où l’on reste, des hôtels qui ne sont pas faits pour une ou deux nuits. Dans celui-là, certains y sont depuis vingt ans. Vingt ans qu’ils sont dans cette chambre. Ici, on ne juge pas celui qui vient poser ses valises, on est trop conscient que la vie peut être dure dehors.
À l’intérieur, on a le luxe d’être en sécurité, de ne pas craindre le froid qui nous mord en hiver et de pouvoir regarder le monde à travers sa fenêtre. Les hommes restent ici parce qu’ils n’ont nulle part où aller, peur de se casser la gueule encore une fois, une fois de trop.
Les années filent vite ici et on s’habitue au bruit du voisin, celui de la chambre de gauche, celui du dessus… Alors on fait attention à celui en dessous.
Durant quelques mois, je me suis rendu régulièrement dans un hôtel dit social d’un quartier populaire du nord-est de Paris. Voilà plus d’un demi-siècle que ce lieu accueille des hommes dans ces 14 chambres, pour un loyer moyen de 500 € par mois pour quelques mètres carrés.
Ils s’appellent Jean-François, Rolland, Pascal et vivent dans une chambre, sans cuisine, toilettes et douche à l’extérieur. Ils sont travailleurs précaires, retraités ou sans emploi. Ils font partie de la «zone grise».
Une zone de notre société boueuse, où quand on y met le pied, il est difficile d’en sortir. Elle s’accroche aux godasses et laisse des traces. Elle empêche aussi d’agir, pire, de réagir. »