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MER 30 NOVEMBRE 2022 À 21:00Réserver


Le Japon, Mishima et moi : Les corps de Mishima.
Java, 1942. Dans un camp japonais de prisonniers américains, l’intransigeant capitaine Yonoi impose une discipline de fer. L’attitude provocante d’un beau soldat anglais trouble Yonoi et met dangereusement à mal son autorité.
Dans un camp de prisonniers, sur l’île de Java, tenu d’une main de fer par le Capitaine Yonoi. Jack Celliers, un officier britannique, sème le trouble en s’opposant à l’autorité japonaise.


Passé une période créatrice intense s’étalant durant toutes les années soixante jusqu’au début de la décennie suivante (en gros jusqu’à Une petite sœur pour l’été) pendant laquelle il fut un des fers de lance de la Nouvelle Vague japonaise - période où, grâce notamment au soutien à la production de l’ATG (Art Theater Guild), il jouit d’une liberté quasi totale lui permettant toutes les expérimentations -, Nagisa Ôshima à l’instar de Shohei Imamura s’éloigne du cinéma et de la fiction pour réaliser une série de documentaires pour la télévision (genre qu’il connaît et maîtrise par ailleurs très bien). C’est grâce à des fonds français injectés par Anatole Dauman, au travers de sa maison de production Argos films, qu’il revient au cinéma pour réaliser le film qui allait lui assurer la notoriété internationale en même temps que déclencher tous les scandales, à savoir L’Empire des sens présenté au Festival de Cannes en 1976, qui sera suivi deux ans plus tard de L’Empire de la passion. Cette ouverture à une co-production occidentale va entraîner un changement progressif dans le style d’un réalisateur dont l’œuvre, comme le dit bien Max Tessier, se sera révélée jusque là « foncièrement japonaise dans son discours thématique et formel. » (1)


Cette évolution se radicalisera encore dans le film suivant, qui nous intéresse ici, produit par l’anglais Jeremy Thomas (l’homme derrière Le Cri du sorcier de Jerzy Skolimowski ou Eureka de Nicolas Roeg). Furyo marque un tournant dans la filmographie d’Ôshima pour diverses raisons. Inspiré du livre The Seed and the Sower de Laurens Van Der Post (2), il est le premier film que le réalisateur tourne hors du Japon, en l’occurrence sur l’île de Java (3), qui plus est avec des stars internationales au casting. Il avait jusque-là, comme le dit encore Tessier, toujours insisté sur la nécessité pour lui de tourner au Japon. Le livre de Van Der Post, composé de trois récits, avait séduit le cinéaste en ce qu’il ne décrit pas comme de nombreux autres ouvrages nippons le seul point de vue japonais sur la problématique et qu’il va « bien au-delà des faits », « s’occupe autant des pensées et des sentiments » et surtout « observe les Japonais beaucoup plus profondément que d’autres livres. » (4) C’est l’occasion également de mettre en opposition des cultures et des valeurs excessivement différentes sans pour autant abandonner une thématique qui le suit depuis le début de sa carrière, à savoir faire une analyse critique des travers de son peuple et de son pays.


« C’était une nation d’anxieux. Ils ne pouvaient rien faire individuellement. Alors, ils sont devenus fous collectivement. » (5)
Le film représente également une ouverture de son cinéma à « l’autre », à l’étranger. Mis à part la problématique des Coréens au Japon abordée plusieurs fois, notamment au travers de La Pendaison ou du Retour des trois soulards, et le sort des minorités catholiques dans Le Révolté, le réalisateur avait peu abordé « l’étranger ». Le Piège avec son prisonnier américain parlait plutôt de racisme primaire mais n’avait pas la nuance apportée par les récits de Van Der Post.


Le choc des cultures, le réalisateur l’évoque d’entrée de jeu au travers de deux scènes clés. La première est la scène de punition du Coréen sodomite où Lawrence, convoqué comme témoin, s’interpose face à la cruauté de Hara et la logique des codes d’honneur japonais. « On n’a pas vu un véritable Japonais si on n’a pas assisté à un Hara-Kiri. » « Je ne veux pas voir ça. Vous voulez me faire haïr les Japonais ? » lui répondra Lawrence. La seconde étant le procès de Celliers à Batavia notamment au travers du dialogue avec Iwata : « Un soldat japonais ne donnerait pas de faux nom. Un soldat japonais ne se laisserait pas prendre... »
Il est d’ailleurs troublant et éclairant de mettre en parallèle ce thème du film avec un incident relayé par Paul Mayersberg et repris dans le livret présent avec cette édition vidéo. Celui-ci, invité dans un restaurant coréen avec les collaborateurs d’Ôshima, dut gérer leur animosité. En incitant Ôshima à couper dans un scénario qui faisait à l’origine 300 pages et déroulait l’action en flash-back, il avait influencé le maître et lui avait fait changer d’avis. Or, au Japon, l’idée même de contredire le maître est inconcevable : pour les collaborateurs d’Ôshima, le scénariste exerçait une influence inacceptable. Dans un même ordre d’idée, de par son attirance pour Celliers, celui-ci exerce une influence sur Yonoi et l’incite à une faiblesse tout aussi inacceptable. « Je suis moins sentimental que le Capitaine Yonoi » dira son remplaçant en enterrant le Britannique, faisant allusion à la clémence dont celui-ci avait malgré lui fait preuve, du fait de son attirance refoulée pour Celliers.


De l’avis même de Paul Mayersberg, l’homosexualité n’est pas au centre du récit. Elle n’est d’ailleurs abordée frontalement que lors de la scène d’ouverture avec le viol du prisonnier hollandais. Mais le trouble, l’attirance que va ressentir Yonoi pour Celliers (magistralement joué par Sakamoto lors du lent zoom/travelling au procès à Batavia) vont le précipiter vers sa perte. En période de guerre, d’éloignement, la frustration sexuelle est le terreau parfait pour les amitiés viriles. Dans ce contexte, Yonoi, issu d’une famille aristocratique comme Celliers, ne peut qu’être attiré par cet Anglais fier au port altier mais qui derrière son assurance semble cacher une fêlure. Britannique interprété de surcroît par un acteur « trop beau », « C’était l’ange dont le film avait besoin » dira Ôshima à Louis Danvers. (6) Pour Yonoi subissant son rôle de chef de camp à l’écart des combats (7), il est comme une révélation. Ôshima l’avoue : « Ce qui m’intéresse, ce sont les phénomènes de rencontres et les attirances inexplicables. » Celliers jouera de cette attirance pour semer le trouble dans le camp dans une démarche gratuite et parfois à la limite autodestructrice, chacune de ses actions provocatrices ne pouvant de toute évidence le mener que vers une inéluctable conclusion.


Même si, du propre aveu d’Ôshima, son film parle de la guerre (8), à aucun moment le film ne sera une charge directe contre celle-ci. Elle n’est que le prétexte, la toile de fond, un état dont découle l’existence d’un camp et des règles qui le régissent. Ce sont ces règles qu’Ôshima va dénoncer. Plus que l’absurdité de la guerre, Ôshima préfère dénoncer les circonstances qui vont pousser les hommes à agir parfois contre leur nature et à s’opposer, et cela au-delà des différences culturelles. A ce sujet, Lawrence dira à Hara : « Vous êtes victimes d’hommes qui croient avoir raison tout comme autrefois, vous et le Capitaine Yonoi étiez convaincus d’avoir raison. En vérité, bien sûr, personne n’a raison. »
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