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Conférence de Macron : "Notre attente est le signe d'une immaturité démocratique"
Par Propos recueillis par Paul Parant,
publié le 25/04/2019 à 15:53 , mis à jour à 16:00
Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée depuis l'Élysée, à Paris le 16 avril 2019.
Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée depuis l'Élysée, à Paris le 16 avril 2019. afp.com/Yoan VALAT
Que peut-on attendre du chef de l'État, qui se livre enfin à une conférence de presse en solo, et que révèlent nos attentes ? L'analyse d'Arnaud Benedetti.
De mémoire de Ve République, on a rarement vu une conférence de presse aussi attendue que celle à laquelle va s'adonner Emmanuel Macron ce jeudi soir. En deux ans de mandat, il ne s'était encore jamais livré à cet exercice en face-à-face avec les journalistes politiques. Après un report dû à l'incendie de Notre-Dame, le chef de l'État doit soumettre sa conclusion au grand débat, mais aussi apaiser une France plus divisée que jamais. Décryptage avec Arnaud Benedetti, professeur-associé à la Sorbonne, auteur de l'essai Le coup de com' permanent (éd. du Cerf).
L'EXPRESS : Pourquoi la conférence de presse de ce soir s'annonce-t-elle compliquée pour Emmanuel Macron ?
Arnaud Benedetti : Le président a recours à cette figure classique de la Ve République pour la première fois. Il le fait car il a épuisé toutes les autres figures de communication depuis deux ans. Cela lui permet de réintégrer dans sa communication les journalistes politiques, avec lesquels il n'avait pas une relation aussi naturelle que ses prédécesseurs.
Il faut qu'il soit capable d'inventer un récit qui montre qu'il est en mesure de rassembler et d'écouter les Français, tout en restant cohérent avec sa ligne politique : à ses yeux, les Français lui ont donné un mandat clair pour son projet de 2017. Au moment de débuter l'acte 2 de son quinquennat, à lui de montrer que ce qu'il va apporter comme réponse n'est pas un artefact de communication, que cela s'inscrit de façon cohérente dans son projet.
Quels seront ses objectifs ?
Il devra tout d'abord livrer une bonne performance. Il faut se souvenir des moments d'anthologie que l'on a pu connaître dans le passé - Pompidou citant un vers d'Éluard pour commenter un fait divers... Il devrait réussir sur ce point, car il est plutôt bon dans la relation directe, comme on a pu le voir lors du grand débat.
Deuxièmement, et c'est plus important, il faut qu'il parvienne à proposer du liant, une perspective sur l'ensemble de ses annonces. Jusqu'ici, on a vu un catalogue d'annonces circonstancielles, disséminées en pointillé, répondant à des problèmes fiscaux, sociaux et politiques, mais on ne voit pas le projet, la perspective globale.
Enfin, son plan de communication ayant été perturbé par l'incendie de Notre-Dame et la fuite de son discours, il faut qu'il soit capable de faire des annonces nouvelles par rapport à ce que l'on sait déjà.
Sur les annonces déjà connues justement : suppression de l'ENA, baisse des impôts, "travailler plus"... Vaut-il mieux changer de propositions, quitte à sembler instable, ou conserver les idées en faisant fi de l'effet de surprise ?
Je le vois mal revenir sur ce que l'on sait déjà des annonces. Mais il peut épaissir le contenu, sans donner le sentiment d'être versatile. En restant dans la lignée de ce qu'il souhaite présenter comme mesures, il peut renforcer les propositions. Mais l'effet de surprise étant capital dans sa communication politique, il va falloir qu'il réinvente du contenu. C'est sans doute ce qu'il y a de plus complexe.
Il sera sans doute interrogé sur les dossiers qui plombent son quinquennat, notamment l'affaire Benalla. Comment doit-il s'exprimer sur le sujet ?
C'est très compliqué, car le sujet a été tellement mal géré, à la fois sur le plan humain et sur le plan de la communication politique... À mon sens, il doit reconnaître les erreurs commises sur la gestion de sa relation avec Alexandre Benalla, mais aussi ses erreurs de communication. Ce serait de sa part une bonne politique de consentir à la fois à s'être trompé dans le choix d'un collaborateur, et surtout dans l'arrogance de sa communication avec le fameux "Venez me chercher". Il devrait admettre les mots malheureux, les postures inappropriées. Mais en est-il psychologiquement capable ? Je ne le sais pas...
Lui qui voulait rester "maître des horloges" se retrouve en position défensive dans la crise des gilets jaunes. Comment peut-il reprendre le contrôle du récit ?
Il est confronté à une triple équation. Il y a d'abord la question fiscale. On nous annonce une baisse des impôts pour la classe moyenne. Or, la crise des gilets jaunes est certes une crise du consentement à l'impôt, mais aussi une demande de "plus d'État" : ces citoyens de ce que l'on appelle la "France périphérique" estiment qu'ils n'en ont pas assez pour leur impôt. L'équation est difficile.
Arnaud Benedetti est l'auteur du "Coup de com' permanent".
Ensuite, il y a la crise sociale. Comment Emmanuel Macron peut-il donner du grain à moudre alors qu'il est contraint par le traité de Maastricht à 3 % maximum de déficit budgétaire ? Sa marge de manoeuvre est très étroite.
Enfin, la dernière crise est institutionnelle. Les gilets jaunes ont exprimé leur volonté de davantage de démocratie, de démocratie directe et participative. Est-il prêt à ouvrir le jeu institutionnel ? J'ai l'impression qu'il ne l'est pas, par tempérament mais aussi parce que comme tout président de la Ve république, la Constitution lui est très confortable. Là encore, c'est compliqué. Dans tous les cas, la seule communication, aussi habile soit-elle, ne suffira pas à répondre à la crise majeure et profonde à laquelle il est confronté.
Qu'est-ce qui vous marque, dans ce moment politique inédit ?
Ce qui me frappe, c'est le côté irrationnel de notre attente. On attend la parole d'un homme comme si de celle-ci allait jaillir la solution à l'ensemble des problèmes. Cet aspect quasi "magique", dans une société qui se veut rationnelle, me semble être le signe d'une immaturité démocratique propre à la France. On ne retrouve nulle part ailleurs dans les démocraties européennes une telle attente autour du discours d'un seul homme. La résilience monarchique continue de couler dans les veines des institutions... Alors qu'au fond, on sait qu'il n'y aura pas de miracle.
N'est-ce pas là le problème de Macron : il incarne la Ve République, alors que les Français sont déjà passés à autre chose ?
Le vrai problème en effet, c'est le fonctionnement des institutions. Elles sont particulièrement datées, sans pouvoir répondre aux vrais enjeux du moment. Il y a un déséquilibre des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif qui est propre à la Ve République, d'autant moins accepté que les décisions aujourd'hui se prennent de plus en plus par la négociation et la recherche du compromis. On est dans un système institutionnel qui ne me paraît pas conforme au mode de fonctionnement de la société aujourd'hui. La verticalité est-elle soluble dans la post-modernité ?
La vraie question, c'est de savoir si nous disposons des solutions qui nous permettent de répondre aux problèmes qui se posent à nous. Sans doute pas. Mais je ne suis pas sûr qu'Emmanuel Macron soit en mesure de se confronter à cette interrogation... Lui, comme tous les autres avant lui, se trouve très bien dans les habits du président de la République. Car, encore une fois , ils sont assez confortables. Ils protègent le monarque et lui confèrent une stabilité, relative, de plus en plus relative, mais réelle. Jusqu'à quand pourrons-nous tendre la corde institutionnelle sans que celle-ci ne se rompe ? En un sens, les gilets jaunes sont l'expression latente d'une crise des institutions beaucoup plus profonde qu'on ne semble parfois l'imaginer et l'observer
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