Myriam Saduis reprend ce magnifique récit théâtral en forme d’enquête libératrice, contre les épreuves imposées par son histoire familiale qui traverse la grande Histoire.
L’histoire d’une vie, c’est toujours une histoire à tiroirs qu’on ouvre, referme, encore et encore…
C’est toujours une histoire de famille démultipliée et aussi une traversée de l’époque, où les faits de l’Histoire sont alors expériences vécues, ressenties dans l’âme et le corps.
Celle de Myriam Saduis n’est pas simple.
Elle se noue entre la France et la Tunisie, entre une puissance coloniale et un protectorat français à l’aube de son indépendance.
Entre une mère italienne née en Tunisie et un père arabe. Ils se sont rencontrés en 1955, un an avant l’indépendance tunisienne, un an après le début de la guerre d’Algérie.
Leur histoire d’amour fulgurante, transgressive, fut de courte durée.
Myriam a dû vivre avec cette béance : un père absent, occulté et effacé par la mère.
Jusqu’à l’empêchement de tout contact avec sa fille, jusqu’à la transformation de son nom, Saâdaoui, qu’elle a francisé.
Ce qui rend le geste théâtral de Myriam Saduis magnifique, c’est une multiplicité de qualités qui s’épaulent et se renforcent.
Un texte et une mise en scène précis, fluides, minutieusement organisés.
Une interprétation juste, millimétrée, pleinement engagée et nourrie, mais jamais dans le registre compassionnel.
Vitalité et humour : Comme l’indique le titre, après avoir tant subi, c’est elle qui prend la main, qui énonce et structure le récit, et elle le fait avec un talent sûr, avec une vitalité impressionnante, avec un humour mordant, qui déjouent les traumatismes et les blessures.
«Je raconterai cette histoire — non pas le malheur, non! — dont je ferai une déconstruction, un montage, une fiction plus vraie que vraie» confie-t-elle.
Elle agence les fragments éparpillés pour construire un bel édifice, fragile et solide à la fois, dans lequel les outils de la psychanalyse et ceux du théâtre peuvent par de secrètes alliances se rejoindre et conjuguer leurs effets.
Et peuvent aider à s’ouvrir au monde.
Lorsque Pierre Verplancken paraît pour jouer la scène du pansement de La Mouette dans l’acte III (il interprète la mère, Arkadina, tandis que la narratrice interprète le fils, Kostia), leur échange est infiniment touchant.
Aussi tenace que le jeune Hamlet en quête de preuves du meurtre de son père, Myriam Saduis enquête sans relâche.
Mais malgré les douleurs et les colères, sa quête ne s’avère ni désespérée ni chimérique, mais merveilleusement réparatrice.
Agnès Santi