Pendant la Grande Guerre, le 10e arrondissement de Paris, avec ses gares, était un seuil menant d’un monde à l’autre : de l’arrière au front, et inversement. Victorieuse, certes, mais dévastée et endettée, la France sortit de ce conflit profondément transformée et, à partir des années 1920, le 10e se voit lui aussi traversé par diverses mutations qui vont totalement recomposer son identité.

Après l’hécatombe que fut la Première Guerre mondiale, laquelle a décimé toute une génération d'hommes jeunes, comment repeupler et reconstruire le pays ? Malgré leur renvoi à un rôle de mère protectrice du foyer, les femmes accèdent en nombre aux nouveaux emplois du secteur tertiaire, et la pénurie de main-d’œuvre est compensée par une arrivée massive d’immigrés, recrutés dans leur pays d’origine et contrôlés par l’administration française. Les identités de genre sont questionnées, le système éducatif amorce une évolution vers moins de ségrégation. La crise du logement provoque une multiplication des « garnis » avant le futur financement de constructions neuves. Les gares et hôpitaux du 10e se modernisent, et les gigantesques travaux liés à l’agrandissement de la gare de l’Est remodèlent le faubourg Saint-Martin.

Ces profondes transformations ne vont pas sans tensions sociales. Au début des années 1920, la majorité des partis et syndicats issus de la scission du mouvement ouvrier français implantent leurs sièges dans le 10e. Accompagnés par certaines de ces structures, des immigrés réclament l’égalité des droits avec les Français, et des colonisés revendiquent l’indépendance. Les féministes de leur côté luttent sans succès pour le droit de vote ; l’archaïsme de la prison de femmes Saint-Lazare est dénoncé.

Dans le foisonnement créatif qui fait vibrer Paris pendant ces « années folles », le 10e occupe une place modeste. Il reste en revanche un lieu d’ancrage profond pour une presse écrite qui résiste à la concurrence de nouveaux médias, et si l’Art déco s'immisce avec discrétion dans les constructions de l’arrondissement, de vrais palais du cinéma en revisitent l’esprit – le cinéma qui s’impose à cette époque comme divertissement de masse et s'élève en même temps au rang d'art à part entière. Du côté des théâtres historiques « de boulevard », on tente de se réinventer, notamment à travers des comédies musicales. Et s'il n'y a pas à proprement parler de dancings à la mode dans le 10e, la frénésie de danser des Français au sortir de la guerre s'exprime pleinement dans les bals populaires des faubourgs.

Lors de la seconde moitié de la décennie, l’économie rétablie autorise les rêves d’un progrès irréversible, porté par la publicité. La prospérité reste néanmoins fragile, inégalement partagée et menacée par les déséquilibres internationaux. On espère en inaugurant en 1931 la nouvelle gare de l’Est qu’elle n’aura pas à servir le pays comme en 1914. Mais la France, rattrapée par la crise, s’est déjà repliée dans une position défensive en construisant la ligne Maginot…

Cette exposition, intitulée « Le 10e dans les années 1920 : d'un monde à l'autre » et conçue par la société historique de l'arrondissement, Histoire & Vies du 10e, est à découvrir dans le hall de la Mairie à partir du mardi 14 novembre 2023.