Il est des artistes que l’on croît connaître par cœur mais qui réservent toujours des surprises. À la faveur d’un accrochage malicieux concocté par la galerie HELENE BAILLY, la peinture silencieuse et réputée austère de Bernard Buffet (1928-1999) bénéficie d’un éclairage inédit. Au rez-de-chaussée et au sous-sol, une trentaine de tableaux du maître – paysages, natures mortes et portraits – sont présentés en dialogue avec des œuvres d’autres artistes postimpressionnistes et modernes, de Gustave Loiseau à Félix Vallotton.
Un savoureux mélange des genres
Adulé de son vivant, puis désaimé avant d’être reconsidéré dans les années 2000 notamment grâce à la grande rétrospective organisée par le musée d’Art moderne de Paris (2016), Bernard Buffet est une personnalité à part dans l’histoire de l’art. Son style, immédiatement reconnaissable, ne ressemble à aucun autre, avec ses compositions régies par des lignes noires, des traits anguleux, qui structurent rigoureusement l’espace.
Le choix des œuvres réunies chez HELENE BAILLY prend le contrepied de ce que l’on attend de lui. Il n’est pas question ici de clowns, ni de toréadors. « Casser les clichés, donner à voir d’autres facettes du peintre, en proposant un solo show twisté avec des œuvres d’artistes de la galerie », tel est l’objectif de ce bel accrochage.
La première salle joue la carte de la juxtaposition, en s’appuyant sur des rapprochements formels. Très lumineux, Automne, vallée de la Brouac par Chanonat, Auvergne (1974) de Bernard Buffet côtoie La Promeneuse, allée du Luxembourg (vers 1898-1899) d’Albert Marquet, une œuvre de ses débuts, marquée par l’impressionnisme. Le Quesnoy, peint en 1998, dialogue avec Souvenir de Romanel, une toile de Félix Vallotton de 1900 construite par des aplats colorés. Autre exemple, la verticalité des arbres et les eaux calmes du Paysage au bord de l’eau (vers 1911) de Maurice de Vlaminck font écho au silencieux Pont sur la rivière (1994) de Buffet, éclairé par des éclats de blanc pur.
Paysages, oiseaux et natures mortes
Après cette première section, l’étroit couloir relooké par le studio Rosatelier mène à la pièce du fond où l’approche est différente, avec un accrochage monographique sur le thème de l’eau. Le paysage Loctudy, la presqu’île à marée basse, d’un calme énigmatique, fait face à une Tempête en Bretagne (1999), l’une des dernières toiles de l’artiste qui met fin à ses jours cette année-là. D’une touche libre et fiévreuse, ce tableau surprend par son mouvement, qui contraste avec le caractère statique de la quasi-totalité de ses compositions. Le ciel est traversé de corbeaux noirs, façon Hitchcock. À côté, Deux Étourneaux stylisés – un petit format de 1996 – baignent l’atmosphère d’une douce étrangeté.
L’exposition se poursuit au sous-sol, où le visiteur est accueilli par un magistral Gorille de 1997, présenté comme un portrait dans un cadre italien du XVIIe siècle. Il fallait oser, et le résultat fonctionne parfaitement. Autour, parmi des pièces de mobilier moderne ou contemporain (Diego Giacometti, Emmanuelle Simon…) et des objets d’art décoratif (céramiques de Picasso), sont réunies des œuvres de Bernard Buffet de toutes époques. Dans cet espace intimiste et chaleureux, la nature morte règne en maître, avec, entre autres, Deux oursins et lampe marine, un tableau de 1949 tout en camaïeu de gris, et les superbes Tulipes jaunes de 1976.