Critique : Quand on lui demande, après la projection, et quelques félicitations de circonstances, les sources d’inspiration de son Eternal, Ulaa Salim propose une réponse qui éloigne le spectre des quelques lignes recrachées par habitude par un artiste en promotion. Devant la salle presque pleine des Arcades, dans le centre de Neuchâtel, et alors que la ville hésite entre l’Euro de football et le vertige cinéphile du NIFF, lui ne tremble pas : il est un mordu de ciné, et avance que les grands films sur l’espace l’ont toujours fasciné. Ses mots transpirent la sincérité, assumant une cinéphilie populaire et exigeante. Interstellar de Christopher Nolan, bien sûr. Solaris, sans qu’il précise s’il s’agit du roman de Lem, de la première adaptation de Tarkovski ou de la version de Soderbergh. Et l’évidence même, de nature à ravir les âmes françaises nichées en terres suisses : Michel Gondry, et son Eternal Sunshine of the Spotless Mind. La filiation avec le conte science fictionnel de Gondry saute aux yeux, plus pour la fibre de douce SF, délicate et mélancolique, et le montage déstructuré, que pour l’univers visuel.
Là où Gondry offrait à son personnage la possibilité, par la fiction, d’oublier une histoire d’amour (entre Jim Carrey et Kate Winslet, sublimes) Ulaa Salim, lui, utilise un concept SF pour ouvrir les portes de l’uchronie : et si je n’avais pas laissé partir cette personne, à ce moment-là, qu’eût été ma vie, qu’eût été la sienne ?

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C’est avec une métaphore qui emplira les recoins de l’imagination de chacun qu’il présente les tourments d’Elias : une fracture. Physique, psychique. Dans les deux cas, il lui faudra la résorber. D’une part, pour sauver le monde, rien que ça, et de l’autre pour retrouver son fils. Plus intéressant encore, Elias aura le choix de renouer avec lui de plusieurs manières : en résorbant la fracture, ou en s’y engouffrant… En corrigeant le réel, ou en plongeant dans ce qu’il aurait pu être.
Malgré ces quelques pirouettes philosophiques et une narration fatalement éclatée dans le temps et l’espace, Salim parvient à garder le fil d’un récit limpide, tout compte fait. Trois chapitres et une progression assez classique plus tard, voilà qu’on ressort d’Eternal avec une féroce envie de ne rien laisser passer, de vivre avec intensité, tout en cogitant… éternellement : Elias regrette la vie qu’il n’a pas eue, ayant opté pour sauver le monde, mais ne regretterait-il pas de la même manière cette vie qu’il a choisie, s’il avait fait le choix inverse en début de film ?

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À côté de ces paradoxes qui promettent à tous les spectateurs de replonger dans leur passé, Salim fait montre d’une vraie exigence formelle, offre quelques cadres savoureusement travaillés et de jolis moments hors du temps, par exemple au fond de l’océan, au bord de la fracture. Lui qui adore les films d’espace, il jure à son audience, en anglais dans le texte, que l’espace était devenu trop cliché désormais. Alors on regarde au profond de nous-mêmes au lieu de regarder les étoiles, ce qui n’est pas idiot vu son propos sur les choix qu’on regrette, et qui l’est encore moins au regard de l’autre enjeu du film : la catastrophe écologique, pas traitée avec force subtilité, à la manière de Don’t Look Up (Adam McKay, 2021) et sa météorite symbolique.
Pour son deuxième long-métrage, Ulaa Salim s’affirme, à trente-sept ans, comme un fin manieur de concept science-fiction simple et efficace, et oblige à porter notre regard sur le Danemark, ce qui n’est pas si courant en SF, et à trouver un moyen de distribuer son film en France. Autrement, nous sommes prévenus : rien de pire que les regrets.













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