Critique : Après avoir fait ses preuves avec deux comédies Papa ou maman 1 et 2, le réalisateur Martin Bourboulon tente l’aventure du grand film spectaculaire et populaire avec costumes d’époque et effets spéciaux afin de révéler, en toute liberté, un pan de la personnalité d’un ingénieur dingue et précurseur, fragilisé par des amours interdites.
- Copyright VVZ Prod/Pathé films/Antonin Menechetti
Pour permettre au spectateur de savourer à sa juste valeur la génèse de cette tour de 324 mètres qui fut longtemps le bâtiment le plus haut au monde, il convient de lui offrir un condensé de magnificence, d’inédit et de folie. Autant d’ingrédients que la description de cette construction hors du commun, soutenue par une mise en scène alerte, ne manque pas d’apporter dans un premier temps. On se régale de ces plans vertigineux d’ouvriers suspendus dans le vide, aussi à l’aise que des acrobates dans un cirque. On découvre avec intérêt les innovations techniques, toujours utilisées aujourd’hui, pour stabiliser la dame de fer construite sur un marécage. On tremble face à la véhémence des riverains, mais aussi des ouvriers et des banquiers, tous ligués pour faire capoter ce projet. Les plans de construction sont particulièrement captivants et l’on ne se lasse pas de cette visite privilégiée qui nous est accordée, en compagnie de ce personnage attachant qu’est Eiffel, animé d’une détermination indéfectible mais aussi d’une forte dimension humaine.
C’est cette facette sensible que le réalisateur choisit d’exploiter, pour faire dévier son récit vers une fresque outrageusement romanesque, reléguant à l’arrière-plan les dernières avancées du chantier. Arguant que derrière une grande œuvre se cache toujours un grand amour, Martin Bourboulon et sa scénariste Caroline Bongrand se détournent de l’Eiffel entrepreneur sémillant pour s’orienter vers un Eiffel sentimental. Ils imaginent alors une hypothétique liaison entre Gustave Eiffel et Adrienne Bourgès, une femme qu’il avait rencontrée quelques années plus tôt lors de l’édification d’une passerelle à Bordeaux. Sa condition sociale ne convenant pas aux parents de sa bien-aimée, leurs destins se séparent, bien malgré eux. Depuis sa participation à la réalisation de la statue de la Liberté, cadeau du peuple français aux Etats-Unis, Gustave Eiffel fait partie des grands de ce monde et fréquente assidûment cocktails et mondanités en tous genres. C’est au cours de l’une d’entre elles qu’il retrouve son amour de jeunesse, désormais mariée par raison. Focalisé depuis plusieurs années sur le projet du métro, il refuse de s’intéresser à ce qu’il appelle le « pylône » auquel les ingénieurs Koechlin et Nouguier tiennent tant pour l’Exposition universelle. La similitude entre la silhouette élancée de la tour et le A du prénom de celle qu’il ne peut se résoudre à oublier change le cours de l’histoire.
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Entre modernité et tradition, Romain Duris endosse sans faux pli le costume de cet homme énergique et charismatique. L’osmose avec la superbe Emma Mackey éclaire d’une aura toute particulière cette romance pourtant envahissante qui élimine sans vergogne quelques personnages juste esquissés tels que celui de Claire (Armande Boulanger), la fille de Gustave Eiffel ou d’Antoine de Restac (Pierre Deladonchamps), le mari d’Adrienne, dont les points de vue auraient sans doute pu donner une tonalité différente. Ni biopic, ni documentaire, Eiffel est avant tout une comédie romantique assumée qui décevra les amateurs de prouesses techniques, mais réjouira les aficionados d’aubades enflammées.