Marco Maggi, Matthew Porter, Philippe Ramette,
Kevin Rouillard, Lucas Samaras, Michael Scott,
James Siena, Takis
Dans son essai sur l’histoire des lignes1, l’anthropologue Tim Ingold regroupe les lignes en deux catégories : les fils et les traces. Il soutient aussi que la modernité a mis à l’honneur la ligne droite au détriment du geste. Toutefois, quand notre attention se porte sur la période qui suit – la période dite
« contemporaine» ou « post-moderne » – cette inquiétude n’a sans doute plus lieu d’être. Les fils et
les traces demeurent, mais les lignes font aussi appel au geste, même lorsqu’elles sont droites. On note aussi que les artistes, quels que soient leurs modes de représentation (abstraits ou figuratifs), questionnent en particulier les « limites » de la démarcation, physiques ou conceptuelles. Que se passe-t-il lorsque nous altérons les limites tracées, en les tordant, en les faisant dépasser du cadre,
en les discontinuant et quand la surface disparait au profit de la ligne ? Les œuvres des huit artistes présentées ici sont habitées par ces questions. Leurs propositions esthétiques diffèrent mais elles ont pour point commun d’utiliser la ligne et les notions qu’elle recouvre pour ouvrir de nouveaux champs de perception au lieu de les circonscrire.
Certaines puisent leur inspiration dans l’émission ou la représentation du son. C’est le cas de
la sculpture de Kevin Rouillard (Partition pour sculpture, 2023). Réalisée avec des lamelles de
métal, découpées dans des bidons usagés, cette œuvre imagine la mise en forme d’une partition symphonique, dans sa forme primitive. De manière plus explicite, la sculpture de Takis (Musical, 1972) introduit le son, le mouvement et la temporalité. « Jouée » par mécanisme électromagnétique, elle emploie la corde d’une guitare pour créer un son saccadé qui se propage dans l’enceinte de la galerie.
Cette volonté de « sortir du cadre » est illustrée par bien d’autres œuvres de l’exposition. Ainsi, les fils tendus de Marco Maggi (Drawing Machine, 2015) dont les crayons semblent être à l’origine, prolongent leur course au-delà du mur. L’idée d’une existence hors cadre est aussi présente dans les peintures de Michael Scott qui démontre, par un effet optique, que la sortie du cadre d’un cercle par rapport à l’autre, donne l’impression que son diamètre est plus petit. Et enfin, sur un principe cette fois-ci algorithmique, le dessin de James Siena (Double Inverted Sagging Triangle Grid, 2011) applique une logique de partition que l’on pourrait poursuivre à l’infini.
Parmi ces propositions, l’exposition emprunte aussi un registre figuratif, voire un humour surréaliste. Nous y trouvons par exemple les chaises filiformes de Lucas Samaras (Wire Hanger Chair, 1990), tordues et démesurées, qui suggèrent l’idée d’une mutation en cours, les architectures linéaires de Matthew Porter qui contredisent et fragmentent l’idée d’un abri, ou enfin la corde verticale de Philippe Ramette (Ascension irrationnelle, 2006) ; corde bizarrement droite qui semble répondre à une injonction et tendre vers l’au-delà.