Je vous propose de m'accompagner voir Decision to leave à la séance de 18h45 à l'UGC Danton
Decision to leave
Sortie le 29 juin 2022
Romance, Drame, Policier (2h19)
De Park Chan-Wook
En Corée du Sud, un mystérieux crime met en émoi la police qui couvre une zone montagneuse isolée. Pour tenter de résoudre l'affaire, l'enquête est confiée à Hae-Joon, un inspecteur réputé. Très vite, ce dernier commence les interrogatoires, et, dès sa rencontre avec l'épouse du défunt, Sore, constate des éléments qui lui mettent la puce à l'oreille. Forcé de mener à bien ses investigations, Hae-Joon fréquente de plus en plus assidument la jeune femme, aussi troublante que séductrice. L'expérimenté policier ne tarde pas à se lier à Sore alors qu'au même moment les soupçons s'amplifient à propos de son implication dans le meurtre...
Critique Télérama de Louis Guichard
La culture coréenne triomphe dans le monde entier depuis quelques années. Le groupe pop BTS a dominé pendant plusieurs saisons les ventes de musique en ligne. La série Squid Game a tourné au phénomène. Le film Parasite, de Bong Joon-ho (2019), a remporté l’Oscar du meilleur film, la Palme d’or à Cannes et un immense succès public. Or, Park Chan-wook, le réalisateur de Decision to Leave, s’était fait connaître et reconnaître, lui, bien avant cette vogue : d’Old Boy (2003) à Mademoiselle (2016), il a enchaîné des thrillers remplis de vengeances, conçus comme des spectacles aussi ludiques que sanglants. Et, pour la plupart, bien accueillis, notamment en France.
Mais plutôt que de vouloir reprendre son titre ou surenchérir sur la vitalité explosive de Parasite, voici que le cinéaste change de cap et revendique une maturité inédite. Et rien n’interdit de le préférer ainsi, plus adulte, introspectif et sentimental. Son héros, policier dans une grande ville, Busan, constate, avec son lieutenant, que « c’est calme, en ce moment ». Les week-ends, il rejoint sa femme installée en bord de mer et consent à ses stratégies contre le vieillissement, études scientifiques à l’appui. Le programme est détaillé avec humour : faire l’amour pour prévenir les maladies cardio-vasculaires et renforcer les capacités cognitives, consommer sans modération de l’extrait de tortue pour stimuler la production de testostérone ou du jus de grenade pour retarder la ménopause... Bref, l’ennui guette, et c’est une étrange affaire qui réveille l’enquêteur : la chute mortelle d’un homme depuis le sommet d’une montagne à pic. Car les soupçons se portent sur sa jeune veuve, à l’attitude indéchiffrable, au passé trouble. Et cette femme subjugue d’emblée le policier fatigué, qui la suit et l’épie.
À l’évidence, Decision to Leave n’existerait pas sans le fameux Vertigo (Sueurs froides) d’Alfred Hitchcock, devenu, bien longtemps après sa sortie (en 1958), le film le plus couramment cité par les cinéphiles comme le meilleur de tous les temps. Et qui n’en finit pas d’inspirer les réalisateurs les plus divers. Le détective joué par James Stewart s’y laissait déborder par sa fascination pour l’épouse supposément suicidaire (Kim Novak) de son client, qu’il était chargé de surveiller et protéger… Park Chan-wook propose une histoire originale, mais scindée comme Vertigo en deux parties distinctes, la seconde commençant également après la dépression du héros, persuadé d’avoir échoué dans sa mission.
Passionnante est la redistribution, par l’auteur coréen, d’une multitude d’ingrédients-clés du chef-d’œuvre de Hitchcock. Il y a les poursuites et la panique sur les toits, le vertige récurrent de l’enquêteur, la fatigue de ses yeux, requérant sans cesse du sérum physiologique. On retrouve aussi les nombreuses scènes de filature et de planque. L’intimité amoureuse, impromptue, platonique, et comme irréelle, naissant entre l’enquêteur et la suspecte. Leurs retrouvailles sous un jour différent après le classement sans suite de la première affaire et un long silence. Mais encore le spectre du suicide, planant cette fois sur plusieurs personnages tour à tour. Et, enfin, une Corée du Sud étonnamment californienne, même sous la neige, avec ses pins, ses rochers, ses plages, ses falaises.
De la même façon que James Stewart se perdait dans les mystifications orchestrées autour de l’élégante Kim Novak, le héros de Park Chan-wook se noie dans les multiples indices contradictoires, que la technologie et le numérique permettent aujourd’hui d’accumuler. Ces fichiers d’images ou de sons retrouvés, falsifiés, détruits, restaurés inspirent au cinéaste des acrobaties de montage qui rappellent la sophistication survoltée de ses premiers films — Decision to Leave a reçu en mai dernier le Prix de la mise en scène à Cannes. Mais les innombrables coups de théâtre, les présomptions alternées d’innocence et de culpabilité n’en masquent pas moins une dramaturgie plus secrète et plus sombre. C’est bien le parfum mortifère, l’ombre maléfique de la suspecte qui embrasent les sentiments du flic respectable : tout ce qu’il faut, en fait, pour désintégrer sa vie à lui. Et c’est sans doute la droiture de l’homme qui aimante paradoxalement la jeune femme opaque. Le romantisme de leur attraction, longtemps maintenu à l’arrière-plan des péripéties, donnera sa pleine mesure dans un long et beau finale, si inattendu qu’on en suit les modalités en état de sidération.