SCARS/SIRENS
L’exposition Scars/Sirens prend pour point de départ un livre de Joyce Carol Oates, Nous étions les Mulvaney (1996), et un séjour de Camille Benarab-Lopez dans l’État de New York, retraçant le parcours fictif de cette famille typiquement américaine. Dans le roman, les Mulvaney forment une famille idéale et apparemment soudée, attachée à la terre autant qu’aux apparences de bonheur qu’ils exhalent. Mais le récit est celui d’une chute sociale qui s’effectue à l’extérieur et à l’intérieur même de la cellule familiale : les liens se fissurent et s’écartèlent en une plaie qu’aucun baume ne peut cicatriser. À la fois terribles et formidables, les Mulvaney sont dépeints dans toute leur complexité psychologique, tâchant de se maintenir dans une Amérique marquée par la tyrannie du paraitre. Le sens propre se confond rapidement avec le sens figuré : Oates - également l’autrice d’un autre ouvrage intitulé Les Chutes - donne comme théâtre du drame une région constellée par des chutes d’eau mythiques : des chutes d’Ithaca à celles, fameuses, du Niagara. La vie suit son cours tranquille jusqu’à ce qu’un fort dénivelé produise une descente abrupte, autrement dit une cataracte, terme qui désigne une opacification qui brouille à la fois l’eau ou le cristallin de l’œil. Au bruit de la cascade fait écho la détérioration de la vue. De plus, le radical cata- indique un mouvement vers le bas, comme celui des sirènes décrites par la mythologie grecque, créatures mi-humaines mi-animales dont le charme extérieur attire les marins vers les profondeurs et leur perte. L’ombre de ce mythe plane au-dessus du traumatisme familial : c’est le sentiment d’engloutissement qui prime.