UNDER MY SKIN
ARGHAËL
En concentrant l’essentiel de son art sur la pratique du dessin et sur le seul motif du nu, Arghaël renoue avec cette longue histoire de la représentation des corps qui va de la préhistoire avec la Vénus de Willendorf, en passant par l’idéal de perfection antique avec la statuaire Praxitèle au culte de la chair magnifiée chez Renoir ou celle exacerbée des peintures de Lucian Freud. L’artiste cherche sans doute à ancrer son art dans un sol suffisamment consistant pour supporter les cadences et les danses dont son œuvre est porteuse. Chacune des figures dessinées ne semble-t-elle pas emportée dans une sorte de vertige d’autant plus intense qu’elle conjure toute reconnaissance visuelle des attributs par lesquels on identifie habituellement les êtres ? Les visages ne sont-ils pas systématiquement biffés à la manière de certains autoportraits d’Artaud ? Plongeant les corps dans l’indétermination mystérieuse de postures animales ou humaines, l’artiste nous invite à pénétrer cette zone d’indiscernabilité entre la bête et l’homme explorée par la peinture de Bacon, celle d’une existence vouée aux débordements de la sensation et des forces vitales aux creux même de la chair. D’une manière peut-être plus crue encore, le dessinateur se joue de la figuration des organes sexuels, volontairement éludés ou octroyés en s’affranchissant de la convenance des genres, et poursuit son questionnement de la notion d’identités sexuées. Arghaël a d’ailleurs pris récemment pour modèle une personne trans, en revisitant la figure classique de l’hermaphrodite à travers le prisme actuel des gender studies, et des débats sur le devenir « intersexué ». Avec ses lignes en perpétuels mouvements, jamais complètement stabilisées, et son inépuisable profusion de formes toujours naissantes, le dessin n’est-il pas l’art le plus prompt à ouvrir le corps à des identités multiples ?