d’Andrei Tarkovski
VOSF
Synopsis : En 1405, le peintre Théophane le Grec demande à Andreï Roublev de venir travailler avec lui à la décoration de l’église de l’Annonciation à Moscou. Quelques années plus tard, bouleversé par la violence de l’époque, Roublev renonce à son art et se mure dans le silence.
Le portrait bouleversant d’un artiste en quête de pureté dans un monde de brutes
Critique : Dès 1962, Andreï Tarkovski s’associe à Andreï Konchalovsky pour évoquer le destin d’un célèbre peintre du Moyen Âge nommé Andreï Roublev. Pourtant, il lui faudra de nombreuses années pour concrétiser sa vision artistique qui nécessitait un budget très élevé. Obligé de couper dans son scénario, Tarkovski finit toutefois par mettre en scène ce faux biopic d’un artiste dont on connait finalement peu de choses sur le plan historique. Ce flou artistique factuel permet au réalisateur une totale liberté qu’il met en application en créant une narration morcelée en plusieurs épisodes. D’une audace folle, le script se permet parfois d’abandonner le personnage principal durant l’intégralité d’un chapitre sans que cela paraisse gênant puisque le cinéaste plie sa logique narrative à l’idée qu’il est en train de développer.
Ici, il dépeint les rapports de l’artiste avec le monde extérieur, le pouvoir et même le divin. Alors qu’Andreï Roublev n’aspire qu’à la pureté de son art, cherchant partout la beauté, il se retrouve rapidement confronté à la violence de son époque – pour mémoire le Moyen Âge russe est particulièrement chaotique, notamment à cause d’incessantes guerres d’invasion. Le réalisateur évoque au passage la forte résistance païenne lors d’une magnifique séquence sur la fête de la Saint-Jean, mais également les incursions et destructions menées par le peuple des Tatars, souvent aidé par des seigneurs russes dans leur marche vers Moscou au début du 15ème siècle.
Une réalisation d’une beauté à couper le souffle
Avec sa sublime photographie en noir et blanc qui fait souvent référence aux tableaux de Bruegel, ses acteurs inspirés, dont le toujours magnifique Nikolaï Bourliaïev, très émouvant en jeune apprenti, et sa caméra virevoltante qui ose tous les défis lors de plans-séquence démentiels, Andreï Roublev est sans contestation aucune un pur chef d’œuvre, de ceux qui comptent à jamais dans la vie d’un cinéphile. Considéré aujourd’hui comme l’un des plus beaux films de tous les temps, il ne fut pourtant pas beaucoup diffusé à l’époque de sa sortie, trois longues années après sa réalisation. Une injustice largement réparée depuis.
Andreï Roublev, entre contemplation et violence extrême
Cette extrême violence d’un monde barbare est décrite dans le film avec une puissance peu commune, notamment lors d’une longue séquence centrale d’une vingtaine de minutes qui voit la prise de la ville de Vladimir et le massacre de sa population. Dans cet épisode central, Tarkovski montre pour la première fois sa capacité à diriger des scènes d’action, avec des centaines de figurants. Il y déploie une maestria qui laisse encore aujourd’hui pantois d’admiration. Ne reculant devant aucun obstacle, le cinéaste ose le gore (yeux crevés, cranes fendus), les scènes de torture, la maltraitance d’animaux (simulée) et même de nombreux nus frontaux évoquant le viol.
Nul voyeurisme pourtant puisque le but du réalisateur est bien de dénoncer la violence sous toutes ses formes, qu’elle soit politique ou même religieuse. On peut d’ailleurs y lire une critique à peine voilée du régime soviétique des années 60, ce qui peut expliquer les difficultés rencontrées par le cinéaste pour sortir son film. Effectivement, le cinéphile d’aujourd’hui peut lire Andreï Roublev comme une œuvre autobiographique contant la difficulté d’un artiste tel que Tarkovski à créer une œuvre belle et pure au cœur d’un régime barbare. De même, avec l’épisode du fondeur de cloche, Tarkovski évoque la filiation entre son père poète et lui-même. L’histoire du vrai peintre Andreï Roublev n’est donc qu’un prétexte pour parler du temps présent et des doutes et inquiétudes de Tarkovski, prisonnier d’un régime autoritaire.