NOTRE ARTICLE MAI ZETTERLING - CINÉMA FÉMINISTE ET POLITIQUE
Critique : On plongeait dans le carnaval au cours d’une scène du film Les filles (1968) de Mai Zetterling. Ce rituel est repris au début d’Amorosa (1986), où des barques remplies de personnes au visage masqué, voguent sur l’eau calme de Venise, dans l’incandescence du soleil couchant. Agnes von Krusensjterna (magnifique et hypnotique Stina Ekblad), écrivaine sujette à des crises schizophréniques, est emmenée à l’hôpital psychiatriques aux côtés de David Sprengel (qui n’est pas encore son époux). Son état de folie, d’angoisse, et de délire passe quasiment inaperçu au sein de l’ambiance festive, et les Vénitiens costumés qui naviguent devant elle reflètent ses peurs les plus intimes : la mort. Les plans semblent épouser sa vision interne, sont capturés d’un point de vue subjectif. Plus tard, alors que la crise s’est atténuée, elle embarque à bord d’une pirogue, accompagnée de Sprengel : le mouvement lent de l’eau, du bateau qui avance, au sein d’un travelling, et la verbalisation de ses pensées, font penser à un mouvement imageant son propre cheminement intérieur : elle raconte qu’elle aimerait écrire sur sa famille, replonger dans la confusion des liens de parentalité, dans le milieu dans lequel elle a grandi : l’aristocratie. Le reste du film n’est qu’une critique de ce monde où Agnes ne se sent pas à sa place, est en décalage.
- "Amorosa"
- © 1986 SANDREW FILM & TEATER AB. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Tout dans les décors, les teintes pastel, les costumes, annonce une esthétique romantique, plongeant le spectateur dans des compositions qui relèvent de l’impressionnisme, fonctionnant par touches de couleurs et jeux de lumières. La séquence du mariage, qui réunit sa famille entière, montre le ridicule, présentant des personnages grossiers (la dame obèse qui s’empiffre, son frère qui intervient et s’impose dans chacune de ses discussions, ou les tentatives des hommes pour séduire les femmes qui les entourent). Nous nous retrouvons en face d’une fête qui vire au burlesque, manière subtile de critiquer, tout en se moquant, adoptant le point de vue de la protagoniste, détaché, presque extérieur.
- Stina Ekblad dans "Amorosa"
- © 1986 SANDREW FILM & TEATER AB. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
L’introspection se lit encore dans les nombreuses mise en abyme, permises par les jeux de reflets. Alors que ses parents lui parlent de mariage, Agnes, assise devant son miroir, répond qu’elle ne peut plus vivre avec eux, qu’il faut qu’elle écrive, qu’elle découvre le monde, l’amour et l’érotisme. Elle ne se retourne pas et parle face à sa propre silhouette de manière à s’adresser à eux, tout en se regardant : image qui vient souligner le fait qu’elle se convainc peut-être et surtout elle-même. Cette recherche de sensualité s’exprime lorsque Gherald lui fait sa demande. Elle est tout contre lui, cherche à l’embrasser, à poser ses mains sur son corps, quand il lui parle d’avenir, de fonder une famille et d’avoir une maison. Il y a d’un côté le bon sens aristocratique, qui se penche à échafauder des plans de vie, et de l’autre la spontanéité organique d’Agnes, son besoin charnel qu’il faudrait assouvir urgemment. Est-ce pour cela qu’elle est considérée comme folle par les membres de sa famille ? Qu’elle écrit des romans si passionnés ? Toujours est-il que malgré ses efforts, sa demande de liberté, Agnes ne parvient pas à couper les ponts avec sa famille, si invasive, prenant toute la place dans sa tête. Elle écrit des autobiographies, où ses parents possèdent un rôle central. Dans ses accès de folie, elle ne voit rien d’autre qu’eux : déguisés, masqués, venus pour la terroriser, la hanter, et le motif du carnaval prend dès lors une allure cauchemardesque, démoniaque, d’où, comme dans un mauvais rêve et malgré ses cris, Agnes ne peut s’échapper.
Il est urgent de redécouvrir le cinéma de Mai Zetterling qui est aussi puissant sur le plan formel qu’au niveau de sa richesse thématique.