Amélie Bertrand
Country Life
Paris, 6 mai 1896
Cher ami,
Parthénon ?
au Pirée.
Venez. Venez.
Tout à vous
GC1
Dans huit jours je pars pour la Grèce. Voulez-vous venir avec moi regarder le
Si oui, j’en serais bien heureux. On s’embarque à Marseille. Trois jours après, on est
Lorsque George Clemenceau écrit cette lettre à Claude Monet, il a 55 ans, et le
peintre, 56. Je ne sais pas si le second a répondu au premier, ni s’il s’est effectivement
rendu à Marseille. Il n’est pas interdit cependant d’imaginer la scène : les deux
hommes se retrouvent quelque part sur le port, c’est la mi-mai, il fait doux, les jours
sont longs. Peut-être prennent-ils un verre en terrasse, tout à leur joie de se retrouver
en dehors du tumulte de la vie parisienne. Dans quelques heures, ils
« s’embarqueront » pour aller admirer les merveilles de l’Antiquité…
On peut pousser encore davantage la fiction en transposant maintenant ces
retrouvailles plus d’un siècle plus tard. Les prodiges de l’intelligence artificielle, des
deep fake et des filtres en tous genres nous ont déjà accoutumés à des remakes
improbables de scènes de pop culture – c’est même devenu un genre en soit : Harry
Potter à Berlin, Breaking Bad en Sicile… Pareillement, on aimerait voir les visages
satisfaits de Clemenceau et Monet éclairés maintenant par les lumières des néons, et
leur rendez-vous fixé à la tombée de la nuit, à l’entrée d’un night-club de la côte d’Azur.
***
Cette image doit d’abord nous rappeler qu’avant de prendre place au musée de
l’Orangerie, les grands panneaux des Nymphéas furent un temps envisagés pour le
décor d’un salon, voire même « pour quelque salle de fête »2. De manière discrète
mais redoutablement efficace, l’ « aquarium fleuri » de Monet serait ainsi propice à
nous baigner dans une ambiance festive, à agir sur les corps, à les rendre
enthousiastes. Amélie Bertrand, originaire de Cannes, et qui vient elle-même
d’exposer au musée de l’Orangerie, envisage sa peinture à l’aune d’une perspective
similaire : un tableau ne vaut pas tant pour sa composition ou par le sujet traité, mais
avant tout pour sa qualité atmosphérique. Il n’est pas un détail, pas un centimètre
carré de ses peintures qui n’exhale un effluve particulier. On peut noter d’ailleurs, d’un
tableau à l’autre, une allusion quasi-systématique à un élément aquatique : bassin,
piscine, marais… La peinture nous invite à une certaine disposition mentale et
physique, un état de flottement.
On pourrait trouver là une forme d’équivalent pictural à la musique ambient, gen