L'écriture et la peinture ont commencé avec des figures. 1, 2, 3, 4, 5, 6, ? n'importe quel nombre de nombres possibles se combinant au bout des doigts. Sur les tablettes sumériennes, la plume de roseau imprimait dans l'argile fraîche les premiers récits enregistrés qui devinrent des récits enregistrés : contes fixés dans la matière terrestre pour la postérité, registres de légendes. De nos jours, la plume du roseau est un stylet ou la pulpe de nos doigts. Les Tablettes d'Agnès Thurnauer initient un nouveau dialogue avec le langage. Ce sont des peintures et des signes qui nous signalent. On reconnaît un E orange, un L vert, surgissant du blanc de la toile : un alphabet impliqué par l'espace négatif. Lettres dans l'âme, elles entrent en résonance avec les sculptures Matrices et les Correspondances avec Matisse. Leurs contours dessinés par des lignes colorées sur le papier découpent des peintures façonnées en couleur et ouvrent le plan au spatial. Les personnages se détachent du rectangle du tableau, tourbillonnant et tournoyant sur le mur. Ils invitent la blancheur du mur à devenir une force centrifuge et nos corps à se déplacer autour de lui ? 7, 8, le rythme déborde les voyelles et compose une partition comme une danse tracée au pinceau. «Je suis un peintre préhistorique», dit l'artiste. Son langage pictural accomplit des gestes archaïques, déployant des morceaux de terre, de ciel, de chair qui s'enroulent dans l'espace. On la retrouve ici en conversation autant avec Richard Tuttle qu'avec Giotto, dont l'ange déroule les cieux de la chapelle des Scrovegni, révélant leur dessous rouge : un pan de mur, une teinte monochromatique, un fragment de surface peinte, un rouleau. Sa Danse coupe également le mot en deux. Chez Agnès Thurnauer, le langage s'enroule en boucle infinie