À un passant*
Je parle d’autant plus volontiers de « passant·es » que le travail de la coul(e)ur(e) et du dessin d’Adrien Fregosi s’est d’abord épanoui dans la rue. À Grenoble, courant des années 2000, il graffait sous l’alias PUZL et défendait, avec l’espace indépendant Going Blind notamment, une scène alternative nourrie par la contre-culture américaine (des cartoons en passant par les zines et le skateboard). Les choses ont commencé à changer à partir de 2013, date à laquelle il s’est installé à Sète (où le graff était plus durement réprimandé) et où il est tombé malade. Sa pratique s’est alors déplacée vers l’atelier, conservant des habitudes développées dans la rue : la bombe aérosol pour projeter la peinture, le « faire avec » l’existant (il récupérait des supports et des outils sur le point d’être jetés) et l’improvisation (impulsée non plus par le timing du graff mais par l’énergie disponible sur le moment). À l’atelier, il semble aussi s’être réapproprié les gestes de recouvrement et d’effacement, qui, dans la rue, guettent inévitablement toute forme de dessin dès son apparition. Les feuilles de format 102 x 72 cm présentées dans l’exposition sont ainsi lavées de plusieurs couches de peinture sprayée, parfois complétées par de l’acrylique. À certains endroits, un dessin gratté dans le frais dévoile la sédimentation des couleurs. La dimension aérienne de l’aérographe – dont Adrien Fregosi se servait pour certains dessins sur petit format – et de l’aérosol transforme nécessairement la qualité du tracé. Une partie se perd dans l’atmosphère tandis que l’autre se fixe sur le papier. Elle donne aux figures cette dimension évanescente, les auréoles parfois un halo ; ce qui ne les empêche pas de dégouliner par ailleurs. Les formes existent entre l’état liquide et gazeux, s’élèvent en même temps qu’elles se vident. C’est comme regarder un nuage : plus vous vous en approchez, plus ses contours vous échappent.
La reprise de certains motifs, déclinés parfois quasiment à l’identique – par exemple ce double portrait de chiens de profil, truffe et collier contrastés – témoigne d’une obstination qui ne recherche pas la virtuosité ou la perfectibilité mais plutôt une forme de sincérité qui n’est sûrement pas éloignée d’un ethos punk. « Peut-on être punk quand on aime travailler avec application dans son atelier ?2»- voici une autre question qu’Amy Sillman aurait pu poser à Adrien Fregosi. En regardant ses peintures aux tons acides faites avec des rebuts, ses personnages patauds aux pieds trop gros, aux bras trop longs, ses caniches trop bien coiffés, je crois qu’il faisait précisément coexister à l’atelier la dérision et l’effort répété, la gaucherie et le soin.